Par deux jugements rendus le 21 mars 2024, le Tribunal administratif de Versailles a annulé deux décisions du maire de Jouars-Pontchartrain relatives à des projets d'urbanisation au sein du Bois du Fond de Bienval, à la suite des recours déposés par plusieurs associations environnementales, assistées par le cabinet TerraNostra Avocats. Les associations ACSERB et JADE ont obtenu une victoire décisive pour la préservation de cet espace naturel du Parc naturel régional de la Haute Vallée de Chevreuse.
Contexte et importance écologique du site
Le Bois du Fond de Bienval couvrant plus de cinq hectares, fait partie d’un corridor écologique essentiel reliant le château de Jouars-Pontchartrain à la forêt de Sainte-Apolline, un espace protégé (ZNIEFF type II). La Carte des objectifs de préservation et de restauration de la trame verte et bleue de la région Ile-de-France (SRCE d'Île-de-France) identifie en effet précisément que le Bois se situe sur un des « principaux corridors à restaurer ou conforter » et constitue même un des « points de fragilité » du corridor et un des « éléments fragmentant à traiter prioritairement ». Ce corridor est notamment vital pour le déplacement des espèces, notamment des chiroptères (chauves-souris - trame noire), entre leurs habitats et leurs terrains de chasse. Le site est également répertorié comme une Zone d’Intérêt Ecologique à Conforter (ZIEC) par le Parc naturel régional, en raison de la présence d’une aulnaie marécageuse et de sources pétrifiantes.
Malgré l’importance écologique du site, la commune de Jouars-Pontchartrain avait classé une partie du bois en zone constructible dans son Plan Local d’Urbanisme (PLU), permettant à plusieurs projets immobiliers d'y être envisagés.
Jugements du Tribunal administratif de Versailles : pas de droit acquis à construire en zone naturelle
Saisi par les associations environnementales, le Tribunal administratif leur a donné raison en annulant les deux arrêtés du maire de Jouars-Pontchartrain autorisant la création de lots à bâtir au sein du bois pour deux motifs.
1. Erreur manifeste d’appréciation sur le classement en zone constructible
Le tribunal a constaté que la partie du bois classé en zone urbaine (constructible) par le PLU abritait une zone humide de grande valeur écologique. Les études écologiques avaient mis en évidence la présence d’une aulnaie marécageuse et d’espèces protégées sur ce terrain :
"Dans la partie nord du Fond de Bienval, la présence d’un habitat à très forte patrimonialité (sources pétrifiantes) renforce l’intérêt écologique du vallon. Contrairement à ce qui était projeté, la présence de cette zone humide remarquable rend ce secteur non constructible.
On signalera également que ce boisement humide est fréquenté par le Pic mar en période de nidification bien que ce peuplement forestier ne correspond pas au préferundum écologique de l’espèce.
Deux objectifs majeurs de conservation concernent le vallon du Fond de Bienval :
- la préservation d’un axe de transit des chiroptères par le maintien d’une continuité boisée selon un axe nord-sud ;
- la préservation d’une zone humide boisée remarquable d’intérêt communautaire au nord de la RD912".
Le tribunal a estimé que le classement de cette parcelle en zone constructible constituait une erreur manifeste d’appréciation, en raison de l’importance écologique du site et de son rôle crucial dans le corridor écologique reliant différents massifs boisés.
Il a alors fait application de l’article L. 600-12 du code l’urbanisme aux termes duquel :
« [...] l'annulation ou la déclaration d'illégalité d'un schéma de cohérence territoriale, d'un plan local d'urbanisme, d'un document d'urbanisme en tenant lieu ou d'une carte communale a pour effet de remettre en vigueur le schéma de cohérence territoriale, le plan local d'urbanisme, le document d'urbanisme en tenant lieu ou la carte communale immédiatement antérieur. »
Sauf que les précédentes versions du plan de zonage du PLU et même le plan de zonage POS avant lui (Plan d'occupation des sols) prévoyaient déjà tous que le bois était constructible. C'était d'ailleurs l'argument principal de la Commune et des propriétaires qui tentaient de se prévaloir d'un droit acquis à la constructibilité du bois du fait de l'ancienneté de son classement en zone urbaine dans les documents de planification communaux.
Le tribunal n'a pas accueilli leur prétention et a jugé au contraire que tous les plans de zonage de successifs de la commune, depuis plusieurs dizaines d'années, étaient entachés de la même erreur manifeste d'appréciation.
Il a alors apprécié la légalité du classement au regard du Règlement national d'urbanisme (RNU) applicable en l'absence de PLU, appliquant ainsi la jurisprudence du Conseil d’Etat :
« [...] lorsque le plan local d'urbanisme a été annulé, l'autorité chargée de délivrer des autorisations d'utilisation des sols doit se fonder, pour statuer sur les demandes dont elle est saisie, sur les dispositions pertinentes du document immédiatement antérieur ou, dans le cas où celles-ci seraient elles-mêmes affectées d'une illégalité dont la nature ferait obstacle à ce qu'il en soit fait application, sur le document encore antérieur ou, à défaut, sur les règles générales fixées par les articles L. 111-1 et suivants et R. 111-1 et suivants du code de l'urbanisme. » (CE, 3 juillet 2020, n° 420346, Lebon).
Faisant droit à l'argumentation présentée par les associations, le tribunal a consécutivement jugé que le classement en zone urbaine était contraire à l’article L. 111-3 du code de l’urbanisme, aux termes duquel :
« En l'absence de plan local d'urbanisme, de tout document d'urbanisme en tenant lieu ou de carte communale, les constructions ne peuvent être autorisées que dans les parties urbanisées de la commune. »
2. Méconnaissance des règles du PLU et de la protection des zones humides
Le tribunal a également souligné que les décisions attaquées méconnaissaient l’article 8 des dispositions générales du PLU, qui impose des mesures strictes de protection des zones humides:
Aux termes de l’article 8 des dispositions générales du PLU :
"La destruction des zones humides doit être évitée en recherchant prioritairement la possibilité technicoéconomique d'implanter les projets en dehors de ces zones. À défaut du principe d'évitement, lorsque l'exception à ce principe est justifiée, la réduction de l'incidence du projet sur la zone humide devra être recherchée et démontrée".
En l’absence d’études technico-économiques démontrant l’impossibilité de réaliser le projet en dehors de la zone humide, et en l'absence de mesures d’évitement, de réduction ou de compensation (séquence ERC), les projets contestés étaient ainsi contraires aux dispositions du PLU protectrices des zones humides.
Conséquences et portée de la décision
Cette double victoire des associations environnementales a permis la préservation du boisement humide et des espèces protégées habitant et utilisant ce corridor écologique. Ce dernier
reste toutefois menacé par d'autres projets et continue de faire l'objet d'atteintes, en lieu et place de sa restauration pourtant prescrite par le SRCE d'Île-de-France.
Jugements du 21 mars 2024 du Tribunal administratif de Versailles :
Comments