Le 28 juin 2024, le Tribunal administratif de Versailles a censuré partiellement le Plan Local d’Urbanisme (PLU) de la commune de Courgent. Ce jugement fait suite à une requête déposée par plusieurs associations, représentées par le cabinet TerraNostra Avocats, contestant la légalité du classement d’une parcelle boisée de près d’un hectare en zone constructible et marque l’arrêt du projet immobilier qui y était projeté.
Contexte du projet immobilier
Le projet immobilier devait s’implanter sur un terrain de près d’un hectare boisé, en bordure d’un cours d’eau, la Vaucouleurs, et en lisière d’un grand massif boisé. Du fait de son intérêt écologique, ce terrain figure au sein d’un espace naturel protégé par le Schéma directeur de la Région Île-de-France (SDRIF), ainsi que par par le schéma régional de cohérence écologique d'Ile-de-France (SRCE) qui y identifie un corridor écologique à préserver. Le passage de chevreuils y est régulièrement constaté, ainsi que la présence de nombreuses autres espèces. Le terrain se trouve au surplus dans le site inscrit (et en cours de classement) de la Vallée de la Vaucouleurs et dans un espace paysager remarquable identifié par le PLU.
Malgré ces caractéristiques, le PLU de Courgent, approuvé en 2019, classait une partie de cette parcelle en zone urbaine (UR3 « Résidentiel paysager ») et en Site Urbain Constitué (SUC), ouvrant ainsi la voie à la construction de bâtiments sur une zone jusqu’alors préservée et permettant la délivrance d’un permis de construire en novembre 2021.
Le PLU autorisait ainsi sans condition de nombreuses constructions sur le terrain : des habitations, mais aussi des restaurants, des hôtels, des bureaux, des établissements d’intérêt public ou encore des exploitations agricoles.
Mobilisation des associations et recours juridique
Les cinq associations locales de défense de l’environnement Sauvons la Tournelle, Sauvons les Yvelines, JADE, SAUVER et APPFFC, se sont mobilisées contre ce projet. Elles ont adressé une demande formelle au maire de Courgent en janvier 2022, sollicitant une révision du PLU. Elles demandaient notamment le reclassement du terrain en zone naturelle, l’annulation du classement en SUC, et l’extension de la protection de l’Espace Paysager Remarquable (EPR) sur l’intégralité de la parcelle, afin de préserver l’intégrité écologique et paysagère du site.
Le maire de Courgent a rejeté cette demande, affirmant que le PLU avait fait l’objet d’un contrôle de légalité de la part de l’État qui n’avait relevé aucune illégalité. Face à ce refus, les associations ont saisi le Tribunal administratif de Versailles, demandant l’annulation de ce refus de modifier le PLU et l’annulation du permis de construire.
Elle faisait valoir que, même si le délai de recours de deux mois contre le PLU est expiré, elle pouvait encore demander l’abrogation des dispositions illégales du PLU en application de l’article L. 243-2 du code des relations entre le public et l’administration, qui dispose que :
« L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé. »
Décision du Tribunal administratif de Versailles
Le tribunal a rendu son verdict le 28 juin 2024, donnant raison aux associations sur l’ensemble des arguments présentés et relevant pas moins de trois erreurs manifestes d’appréciation.
1. Erreur manifeste d’appréciation sur le classement en zone urbaine au regard du caractère naturel et boisé du terrain et de son identification au sein d’un corridor écologique par le SRCE
Le tribunal a constaté que le classement de la parcelle en zone urbaine était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation. La parcelle, entièrement boisée, est située en bordure de la Vaucouleurs et constitue un corridor écologique des milieux calcaires à restaurer identifié par le SRCE. Le tribunal a estimé que cette zone ne pouvait être considérée comme urbanisée et ne présentait pas les caractéristiques d’une zone résidentielle paysagère.
Le tribunal a en particulier exclu que l’existence de constructions isolées à proximité du terrain permette de la considérer comme une dent creuse.
2. Erreur manifeste d’appréciation quant à la présence d’un Site urbain constitué (SUC) au regard des dispositions du Schéma Directeur de la Région Île-de-France (SDRIF)
Le classement de la parcelle en Site Urbain Constitué (SUC), permettant des constructions à moins de 50 mètres de la lisière du massif boisé, a également été jugé incompatible avec les dispositions du SDRIF. L’orientation réglementaire 3.3 du SDRIF impose en effet une protection stricte des lisières des massifs boisés de plus de 100 hectares :
« Les lisières des espaces boisés doivent être protégées. En dehors des sites urbains constitués, à l’exclusion des bâtiments à destination agricole, toute nouvelle urbanisation ne peut être implantée qu’à une distance d’au moins 50 mètres des lisières des massifs boisés de plus de 100 hectares. Un ensemble de constructions éparses ne saurait être regardé comme un site urbain constitué ».
Le tribunal a souligné que l’identification de la parcelle comme faisant partie d’un SUC était une erreur manifeste d’appréciation, la zone n’étant pas suffisamment urbanisée pour être qualifiée de « site urbain ».
3. Erreur manifeste d’appréciation quant au « pastillage » de l’Espace Paysager Remarquable (EPR)
Le tribunal a également annulé le découpage (« pastillage ») au sein de l’Espace Paysager Remarquable, qui autorisait la construction sur une petite portion de la parcelle. Le tribunal a estimé qu’il n’existait aucune justification pour exclure cette partie du classement protecteur, et que cette délimitation portait atteinte à l’intégrité de l’espace naturel.
Conséquences du jugement
Le tribunal a enjoint au maire de Courgent de convoquer le Conseil municipal dans un délai de six mois afin de procéder à une révision du PLU. Cette révision devra intégrer les modifications nécessaires pour reclasser le terrain en zone naturelle et protéger intégralement son caractère paysager. Le jugement a également condamné la commune à verser 1 500 euros aux associations requérantes au titre de leurs frais de justice. Ce jugement est devenu définitif faute d’appel de la Commune.
Le permis de construire a quant à lui été retiré par le Maire pour éviter la censure contentieuse. Dans l’attente de la révision du PLU, le Maire a l’obligation de refuser tout nouveau permis de construire sur le terrain, en application de la jurisprudence du Conseil d’Etat selon laquel « il incombe à l'autorité administrative de ne pas appliquer un règlement illégal » (CE, 18 février 2019, n°414233, Lebon).
Cette décision souligne l’importance de la mobilisation citoyenne pour la protection des espaces naturels. En annulant les décisions du maire de Courgent et en exigeant la révision du PLU, le tribunal a réaffirmé la nécessité de protéger les sites naturels et paysagers, particulièrement dans les zones sensibles comme les lisières de grand massifs boisés et les corridors écologiques.
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