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Photo du rédacteurMarion Giard

La démolition d’un bar construit dans un site Natura 2000 ordonnée par la justice (TJ Saintes, 08.10.2024, n°24/00936).

La loutre compte parmi les espèces protégées emblématiques du site Natura 2000 concerné

Par une ordonnance en date du 8 octobre 2024, le juge des référés du Tribunal judiciaire de Saintes a ordonné la démolition d’un bar illégalement construit sur une île fluviale située en zone Natura 2000.

 

Saisi par des associations environnementales dont notamment Nature Environnement 17 (réseau FNE), assistées du cabinet TerraNostra Avocats, le juge judiciaire a en outre ordonné aux propriétaires et exploitants de remettre le terrain dans son état naturel et de cesser toute activité source de perturbation du milieu naturel.

 

Une telle condamnation marque un signal fort contre les pratiquants de la « méthode bulldozer » partisans de la politique du fait accompli, qui réalisent des travaux en zone naturelle sans étude environnementale ni autorisation préalable.


Contexte : des travaux entrepris sans autorisation en site Natura 2000.


Des travaux contraires à la législation urbanistique et environnementale avaient été réalisés sans autorisation sur une île située sur un bras de la Charente, située intégralement en zone Natura 2000, afin d’y créer un établissement de restauration et de débit de boisson.

 

Pour rappel, le réseau Natura 2000 est constitué d’un ensemble de sites naturels, terrestres et marins, qui vise à assurer la survie à long terme des espèces et des habitats particulièrement menacés et à forts enjeux de conservation en Europe.

 

En vertu de l’article L.411-4 du code de l’environnement, les travaux et activités qui sont susceptibles d'affecter de manière significative un site Natura 2000, individuellement ou en raison de leurs effets cumulés, doivent faire l'objet d'une évaluation de leurs incidences au regard des objectifs de conservation du site, dite " Evaluation des incidences Natura 2000 ".

 

Depuis son ouverture en 2020, l’établissement litigieux n’avait eu de cesse d’élargir son champ d’activités, toujours sans évaluation préalable ni autorisation : organisation de soirées à thème, DJ set, diffusion de compétitions sportives, mise à disposition d’un terrain de volley, de tables de ping-pong, aménagement d’une véritable base de loisirs avec la location de canoés et paddles et d’autres activités nautiques…

 

Pourtant, cette île constitue un écrin naturel au caractère initialement boisé, classée en zone naturelle par le plan local d’urbanisme (PLU) de la commune, et abritait une biodiversité exceptionnelle, avec la présence notable de plusieurs espèces protégées dont la Loutre et le Vison, la Cistude, divers poissons migrateurs, et plusieurs invertébrés dont la Rosalie des Alpes.

 

L’île se situe par ailleurs au sein d’une zone humide d’importance majeure, recensée par l’observatoire national des zones humides du ministère de la transition écologique, et en zone inondable identifiée par le plan de prévention des risques naturels (PPRN).

 

Les associations ont alerté à de nombreuses reprises les autorités locales, dont notamment le Maire et le Préfet, mais aucune mesure n’a été prise par ces derniers pour mettre un terme aux atteintes graves et répétées portées au site naturel protégé (un recours est pendant devant le Tribunal administratif de Poitiers pour dénoncer cette carence fautive de l’administration).

 

Afin d’obtenir une injonction de remise en état du site à brève échéance, les associations locales de défense de l’environnement, représentées par le cabinet TerraNostra Avocats, ont alors assigné les propriétaires de l’île et les exploitants de l’établissement devant le Tribunal judiciaire de Saintes sur le fondement de l’article 835 alinéa 1er du code de procédure civile.


Une décision motivée par les intérêts environnementaux en présence.


Le référé conservatoire est prévu par l’article 835 alinéa 1er du Code de procédure civile (ancien article 809), lequel dispose que :

 

« Le président peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ».

 

Dès lors qu’un ouvrage a été édifié ou installé sans autorisation ou en méconnaissance de ladite autorisation, et que cet ouvrage ne peut faire l’objet d’aucune régularisation au regard des dispositions du plan local d’urbanisme, alors le juge des référés peut, sur le fondement de l’article 835 du Code de procédure civile, ordonner l’arrêt des travaux et la remise en état du terrain (voir à propos de travaux réalisés en zone Natura 2000 et en zone inondable : Cour de cassation, 3ème chambre civile, 4 avril 2019, n°18-11.207 et 18-11.208, Publié au bulletin)

 

La jurisprudence considère qu’une atteinte grave à l’environnement est également de nature à constituer un trouble manifestement illicite (Cour de cassation, 1ère chambre civile, 14 mai 1991, n°89-20.492, Publié au bulletin).

 

Les associations soutenaient ainsi notamment en l’espèce que la réalisation des travaux, l’exploitation de l’établissement et l’organisation d’événements au sein du site Natura 2000 sans évaluation des incidences au préalable, constituaient des violations de l’article L.414-4 du code de l’environnement et étaient en outre irrégularisables, faute de respecter le PLU et le PPRN.

 

Elles faisaient en particulier valoir que ces travaux et activités portaient nécessairement une atteinte grave à la préservation de l’habitat naturel et mettent en danger les espèces protégées y vivant.

 

En effet, les travaux ont eu pour effet l’artificialisation d’une zone naturelle à l’intérêt écologique majeur, et l’exploitation de l’établissement a entrainé :


  • L’augmentation de la fréquentation humaine au sein d’une zone humide jusqu’alors préservée ;

  • Le piétinement de la flore, et plus largement la perturbation de la faune et de la flore provoquée par l’affluence humaine sur l’île mais aussi sur les eaux (location de canoës et de paddles, baignade dans le fleuve, etc.) ;

  • La pollution du site, aussi bien du fait des déchets produits par les clients de l’établissement et l’absence de toilettes sur l’île avec risques de déversement dans la Charente, mais aussi du fait des nuisances lumineuses et sonores provoquées par les activités organisées sur l’île, perturbant le cycle naturel du site des espèces protégées et menacées vivant sur l’île mais aussi dans ses alentours ;

  • Ces nuisances sont d’autant plus dommageables qu’elles interviennent tout au long de la saison printanière et estivale, soit pendant la période d’accouplement et de reproduction de ces espèces.


Pour l’ensemble de ces motifs, le juge des référés du Tribunal judiciaire de Saintes a considéré que les travaux et activités en litige devaient être regardés comme constitutifs d’un trouble manifestement illicite au sens de l’article 835 alinéa 1er du code de procédure civile, et a condamné les propriétaires de l’île et les exploitants du bar à :


  • Procéder à la remise en état de l’île dans son état naturel dans un délai de six mois sous astreinte de 500€ par jour de retard ;

  • Cesser toute activité commerciale source de perturbation du milieu naturel, sous astreinte de 1000€ par infraction constatée.

 

Conclusion : le référé conservatoire, une procédure efficace et encore relativement peu utilisée en matière environnementale.


Accessible aux collectivités territoriales, associations et riverains, le référé conservatoire permet d’obtenir des décisions exécutoires de plein droit à brève échéance en cas d’atteinte grave à l’environnement.

 

Encore trop peu utilisé en matière environnementale, il constitue une procédure relativement efficace pour faire échec à la « méthode bulldozer ».

 

Bien que cette décision ne soit pas définitive et puisse encore faire l’objet d’un appel, elle marque l’échec de la politique du fait accompli en matière de délits environnementaux, et doit donner espoir aux défenseurs de l’environnement : l’auteur de travaux illégaux ne peut se prévaloir de l’achèvement de ces derniers pour échapper à la démolition et la remise en état.


Lien vers la décision :



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